Sans justice pas de République
Je vous invite à lire cet article du journal La Croix du 25 octobre 2025 :
Léon XIV, saint Augustin et la pauvreté
Tiens, encore une mention de saint Augustin. Dans son récent discours adressé aux mouvements populaires, jeudi 23 octobre au Vatican, Léon XIV paraphrase le Père de l’Église : « Selon Augustin, dit le pape, l’“humain” est au centre d’une éthique de responsabilité. Il nous enseigne que la responsabilité, surtout envers les pauvres et ceux qui ont des besoins matériels, naît du fait d’être humain avec ses semblables et, par conséquent, de la reconnaissance de notre “humanité commune” ».
Dans la version écrite de son discours, Léon XIV renvoie en note de bas de page au troisième paragraphe du 259ᵉ discours d’Augustin, consacré à la miséricorde. L’évêque d’Hippone y affirme : « Si tu refuses, tout homme que tu es, d’être humain envers ton semblable, Dieu refusera à son tour de te rendre divin, c’est-à-dire de t’accorder cette incorruptible immortalité qui fait de nous des dieux. »
Il poursuit par un exemple concret : « Un homme se montre-t-il dur envers un naufragé, par exemple ? Attendez qu’il ait fait naufrage. S’il a éprouvé ce malheur, la vue d’un naufragé lui rappelle ce qu’il a souffert (…). La communauté d’infortune le touche de compassion, quand n’a pu le faire la communauté de nature. »
Sans justice pas de république
Le même discours du pape cite ensuite une deuxième fois Augustin : « “Un État sans justice n’est pas un État”, nous rappelle Augustin. La justice exige que les institutions de chaque État soient au service de toutes les classes sociales et de tous les résidents, en harmonisant les différents besoins et intérêts. » La référence indiquée est celle de La Cité de Dieu (De civitate Dei, XIX, 21,1).
Dans ce passage, Augustin défend que l’État romain n’a jamais été une véritable république puisque le peuple y était privé de droits. Sans droits, pas de justice. Sans justice, pas de république, dit en substance l’évêque, qui avance cette définition : « La justice est cette vertu qui attribue à chacun ce qui lui revient. »
L’idée est déjà présente dans Dilexi te, l’exhortation apostolique signée par Léon XIV le 4 octobre 2025 et consacrée aux pauvres. Le pape y rappelle (paragraphe 43) que l’évêque d’Hippone fut formé par saint Ambroise de Milan, qui écrivait : « Tu ne donnes pas à un pauvre en prenant sur ce qui t’appartient, mais tu lui rends en prenant sur ce qui lui appartient. En effet, ce qui a été donné pour l’usage commun, toi seul te l’appropries » (De Nabuthae).
Et Léon XIV de commenter : « Pour Ambroise, l’aumône est le rétablissement de la justice, et non un geste paternaliste. Dans sa prédication, la miséricorde prend un caractère prophétique : elle dénonce les structures d’accumulation et réaffirme la communion comme vocation ecclésiale. »
Destination universelle des biens
La vision de la pauvreté exprimée ici par Léon XIV s’inscrit dans la droite ligne d’une tradition chrétienne très ancienne. C’est elle qui fonde la doctrine sociale de l’Église et sa conviction d’une « destination universelle des biens » : les ressources de la terre sont destinées à tous. Avant François, cette idée – qui pose une limite à la propriété privée – était déjà centrale dans Centesimus annus de Jean-Paul II (paragraphes 6 et 30), dans Populorum progressio de Paul VI (22 et 23) dans Pacem in terris de Jean XXIII (21)…
Benoît XVI lui-même, dans son Message de Carême 2008, rappelait que « nous ne sommes pas propriétaires mais administrateurs des biens que nous possédons : ceux-ci ne doivent donc pas être considérés comme notre propriété exclusive, mais comme des moyens à travers lesquels le Seigneur appelle chacun d’entre nous à devenir un instrument de sa providence envers le prochain ».